Le Convoi (« Convoy ») Sam Peckinpah, 1978.

le shérif Lyle Wallace (Ernest Borgnine)

le shérif Lyle Wallace (Ernest Borgnine)

En Arizona, des camionneurs forment un convoi contestataire par solidarité avec Rubber Duck (Kris Kristofferson), l’un des leurs, persécuté par le shérif Lyle Wallace (Ernest Borgnine). Après leur passage au Nouveau-Mexique, les forces de l’ordre se déploient pour disperser les manifestants, mais la résistance s’organise en même temps que l’affaire prend de l’ampleur, à tel point que le gouverneur local aimerait bien la récupérer pour les prochaines élections. L’énorme convoi se dirige ensuite vers le Mexique, terre promise du réalisateur.

Cette « horde sauvage » à moteurs viole les lois fédérales et joue aux gendarmes et aux voleurs avec la police, qui emploie les grands moyens technologiques (que Peckinpah déteste) pour tenter d’arrêter le convoi grandissant : radars et radios perfectionnées dont un jeune technicien vante les mérites, ainsi que voitures, hélicoptère, et enfin canon anti-char (!!)

Une horde sauvage de camions.

Une horde sauvage de camions.

Peckinpah multiplie les références à La Horde sauvage, justement. Les routiers sont comparés par le sénateur à des « cowboys ». Duck, poursuivi par Lyle (même prénom qu’un des frères Gorch), double une voiture ancienne, qui, la couleur mise à part, ressemble furieusement à celle du général Mapache. Cette voiture obsolète, conduite par un couple très âgé, se retrouve dans le fossé, comme un vestige du passé. Les camions s’alignent de front avant de foncer vers la prison où Mike, le seul Noir de la bande, sévèrement battu, est retenu prisonnier par Lyle et le sherif Tiny Alvarez (Jorge Russek, qui jouait Zamorra), rappelant les membres de la horde venant libérer Angel. Comme Harrigan, Lyle dit « représenter la loi », bien entendu injuste. Les évangélistes chantent Shall We Gather at the River?, comme la Ligue de Tempérance au début du film. Le camion qui tombe au ralenti dans la rivière rappelle la chute de Deke Thornton et ses hommes après l’explosion du pont. Le rire énorme de Lyle à la fin rappelle ceux de la horde. Enfin, dernier clin d’œil, un personnage au générique est crédité sous le nom de « Deke Thornton ».

Lyle vient provoquer les routiers, dont Mike (Franklyn Ajaye), au bar.

Lyle vient provoquer les routiers, dont Mike (Franklyn Ajaye), au bar.

De manière générale, Duck, joué par Kriss Kristofferson qui a interprété Billy le Kid dans Pat Garrett et Billy le Kid, est « plus connu que Jesse James ». Lorsque Lyle rentre dans le bar routier, l’ambiance, faite de regards en coin, est la même que dans un saloon. La bagarre qui s’ensuit, sur fond de musique country, évoque bien évidemment l’univers du western. La vieille ferme où atterrit la voiture de Lyle suite à un vol plané semble sortie tout droit d’un décor de western, avec ses vieux chariots abandonnés. Duck et Lyle sont « des indépendants », du « dernier carré ». Les camions quittent la route pour emprunter une piste sauvage et poussiéreuse, et saluent sur leur route un cowboy à cheval, silhouette lointaine enfermée derrière des barbelés…

Duck, personnage Peckinpien par essence, roule « pour sauver sa peau ». Le seul but de son convoi, c’est « d’avancer ». « Pourquoi toujours toi ? » Lui demande Melissa. « Je ne sais pas » répond-t-il. Duck n’a pas choisi d’être en tête du convoi, mais il l’est, qu’il le veuille ou non, et il conduit un camion bourré d’explosifs, ce qui représente un danger permanent. Avatar de Peckinpah, dont les relations avec les femmes ont toujours été complexes, Duck courtise Melissa au grand désespoir de sa « régulière » qui s’offre en cadeau d’anniversaire. Duck dit avoir été marié et avoir des enfants, qu’il voit quand il le peut, mais ne tire aucun regret de cette vie errante qu’il a choisi.

Sam Peckinpah, en fond, cameraman dans son propre film.

Sam Peckinpah, en fond, cameraman dans son propre film.

Peckinpah apparait lui-même, en caméraman épaulant le chargé de presse du gouverneur Haskins, bien décidé à s’approprier et détourner cette rébellion des routiers pour en faire un enjeu politique et électoral. Peckinpah dénonce au passage la corruption politique et la récupération médiatique des événements. Le même chargé de presse demande aux évangélistes s’ils assistent à un événement spirituel ou politique, mais en fin de compte, seul le convoi représente le peuple, alors que le gouverneur est « prêt à sacrifier l’individu (en l’occurrence Mike, le noir qui a été capturé, battu et jeté en prison) à la cause générale ». Bien évidemment, les personnages de Peckinpah, anarcho-individualistes prêts à se sacrifier pour une cause, ne peuvent ni entendre ni approuver ce message.

Peckinpah, généralement violemment critique envers la religion, s’est adouci et se contente de faire quelques gags. A la suite d’une sortie de route, la voiture volée (!) par Lyle passe à travers un panneau publicitaire incitant à « amener un ami à l’église », et Duck répond « Amen » à l’appel à l’aide du policier lancé aux autres patrouilles. Un car de « chevelus amis du Seigneur » se joint à eux, et leur révérend se plait à détourner les paroles des Évangiles pour les adapter aux camionneurs : « rien ne dit dans la Bible, tu ne mettras pas le pied au plancher »…

Duck (Kriss Kristofferson) et Melissa (Ali MacGraw)

Duck (Kriss Kristofferson) et Melissa (Ali MacGraw)

Le visage christique de Kriss Kristofferson, de plus en plus beau et expressif en vieillissant, donne un certain charisme à son personnage. La bouche constamment entrouverte de Ali MacGraw (qui jouait dans Guet-Apens) constitue la seule et unique expression faciale de l’actrice, dont la nullité de jeu est insupportable. Burt Young, dans le rôle de « Love Machine », est curieusement effacé. Ernest Borgnine roule les yeux et s’amuse dans un rôle de méchant peu crédible. Madge Sinclair, qui joue « La Veuve », campe un personnage féminin intéressant, de femme Noire indépendante et camionneuse, malheureusement sous-exploité. Franklyn Ajaye est Mike, le jeune camionneur Noir. Nouvel « Angel », celui-ci, contrairement à son prédécesseur, est marié et père de famille, et survit à ses épreuves. Dans La Horde sauvage, le seul survivant de la « horde », Sykes, était aussi le seul à avoir engendré une descendance. Peckinpah ferait-il une croix sur la liberté dont il est avide ?

La voiture de Lyle, en mauvaise posture.

La voiture de Lyle, en mauvaise posture.

Mais tous ces personnages, curieusement survolés, aux personnalités peu développées ou simples redites de thématiques déjà exploitées par le réalisateur, manquent de chair. Tout ceci a déjà été raconté auparavant dans les autres films du réalisateur, et avec tellement plus de force et d’engagement viscéral, que Le Convoi est simplement un divertissement édulcoré, aux belles images sur fond de musique country. Dans cette optique, on relèvera qu’il n’y a pas de morts dans ce film tout publics, et que les personnages, irréalistes et comme sortis de dessins animés, survivent sans problème à des accidents spectaculaires. De beaux moments sont à retenir, lorsque les camions prennent en tenaille la voiture de police par exemple. Cependant, les voitures et les camions dérapant dans la poussière sur un air de valse, le policier qui frappe sa carrosserie au ralenti, et la fin, complètement grotesque, où Duck réapparait après l’explosion de son camion, ruinent le film. Il est évident que le sort de Duck était de disparaitre, tant les personnages Peckinpiens sont intimement liés à la mort et l’autodestruction. De même, le rire final de Lyle, qui voulait absolument la mort de Duck, est totalement incompréhensible, à moins qu’il ne souligne, justement, l’invraisemblance totale de la situation.

On sait que le film, réalisé avec beaucoup de difficultés par le réalisateur victime de ses addictions, largement épaulé par son ami James Coburn venu tourner en seconde équipe, a déçu Peckinpah, qui a cherché plusieurs fois à abandonner le projet, jusque sur la table de montage. Cependant, dans ce film « malade » et inabouti qui semble un testament filmique, Peckinpah fait ses adieux définitifs à ses chers hors-la-loi et au monde du western, disparus à jamais sous l’asphalte et emportés par les machines rugissantes. Ironiquement, ce sera son plus grand succès de son vivant.

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6 commentaires pour Le Convoi (« Convoy ») Sam Peckinpah, 1978.

  1. Claude dit :

    Honnêtement, c’est le seul film de Peckinpah que je n’ai jamais voulu revoir .

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  2. walkfredjay dit :

    Si, si. Je t’assure. Je te promets qu’après ma mort, le premier film que je verrai dans ma prochaine vie sera « LE CONVOI » ! 🙂

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  3. Antonia dit :

    En tout cas, cette étude fine et documentée éclaire bien les intentions du film… Mais il est vrai que seule la musique reste dans ma mémoire !

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