Jeremiah Johnson (« Jeremiah Johnson ») Sydney Pollack, 1972

Jeremiah Johnson (Robert Redford)

Jeremiah Johnson (Robert Redford)

Dans les années 1850, Jeremiah Johnson (Robert Redford) décide de partir dans les montagnes Rocheuses, loin de toute civilisation, pour devenir trappeur.

Ce film est clairement découpé en trois parties titrées. La première, la plus longue, narre l’arrivée et l’adaptation de l’homme à son nouveau milieu. Grande gueule et sûr de lui, Jeremiah Johnson se révèle pourtant bien incapable de survivre seul dans les montagnes et le froid : il ne sait pas pêcher, n’a pas un fusil suffisamment puissant pour la chasse, et n’arrive même pas à allumer un feu. De manière providentielle, il récupère un fusil, sous forme de message funeste. En effet ce fusil appartenait à un homme, qui, comme lui, a voulu partir dans les montagnes et a fini sa vie gelé, grièvement blessé par un ours. Ce qui pourrait sonner comme un avertissement n’arrête pas Jeremiah, qui va rencontrer deux personnages providentiels.

"Griffe d'ours" (Will Geer)

« Griffe d’ours » (Will Geer)

Le premier, un vieux trappeur (« Griffe d’Ours »), va lui enseigner tout ce qu’il lui faut savoir pour survivre dans les montagnes. A noter que Griffe d’ours (du nom des griffes de grizzly qu’il collectionne pour faire des échanges et garder de bonnes relations avec les Indiens), appelle Johnson « Pèlerin », ne se méprenant pas sur la quête spirituelle du personnage.

Car si Robert Redford est l’archétype du héros américain, blond aux yeux bleus, son personnage, lui, sort des sentiers battus. Entêté, il poursuit une quête sans but, si ce n’est celle de fuir une guerre contre le Mexique brièvement évoquée, et dont on apprendra qu’elle s’est terminée. Jeremiah est donc sans doute un déserteur, du moins, quelqu’un marqué par la vie et la folie meurtrière des hommes dont il cherche à s’éloigner. Il rêve visiblement de la pureté d’une vie simple, symbolisée par les paysages magnifiques des montagnes et la neige omniprésente.

Del Gue (Stefan Gierasch) en mauvaise posture.

Del Gue (Stefan Gierasch) en mauvaise posture.

Bien avant Danse avec les loups, le film narre ensuite la rencontre avec les Indiens. Tout d’abord par leur violence : Johnson trouve une famille de colons massacrés. Seule reste la mère, rendue folle par l’assassinat de ses enfants, et un petit garçon, rendu muet par le choc, que Johnson adopte, contraint et forcé, et renomme Caleb. Johnson rencontre ensuite Del Gue, un chasseur cynique et malhonnête, qui a l’avantage de connaître parfaitement les us et coutumes des Indiens. Del Gue s’est ainsi rasé le crâne, pour éviter d’avoir un « scalp » tentant, ce qui ne l’a pas empêché d’être enterré jusqu’au cou par des Pieds Noirs, qui l’ont condamné ainsi à mourir exposé au soleil. A peine libéré par Jeremiah, Del Gue assassine trois de ses bourreaux et les scalpe. Accueillis par une tribu adverse, des Têtes-Plates, Jeremiah commet l’erreur de leur offrir les scalps, malgré la mise en garde tardive de Del Gue. Le seul cadeau que le chef peut lui donner en échange d’un don aussi prestigieux est la main de sa propre fille, ce qui fait hurler de rire Del Gue. Stefan Gierasch est parfait dans le rôle de cet observateur critique et excessivement cynique, véritable antithèse, physique et morale, de Johnson.

Johnson se retrouve ainsi avec une famille recomposée, qu’il va apprendre à apprécier et à aimer. Mais ce bonheur ne peut perdurer. Appelé à la rescousse par des Blancs pour sauver un convoi en perdition, Jeremiah profane un cimetière Crows. En commettant un sacrilège pour aider ces hommes dont l’étroitesse d’esprit est soulignée, ainsi qu’un certain manque de respect pour des traditions que Jeremiah a fait siennes, Johnson signe ainsi la fin de l’équilibre idéal qu’il avait trouvé. En voulant venir en aide à des hommes de sa propre race, il se coupe des siens, de cette famille de cœur. A son retour, il ne peut que pleurer son paradis perdu, dont il a été violemment chassé. Il repart, reprenant sa quête sans fin.

Jeremiah Johnson est un voyage initiatique sous forme de boucle. Jeremiah, enrichi par son expérience, a néanmoins perdu tout ce qu’il avait gagné, et revient à son point de départ. De manière symbolique, il recroise les mêmes personnages dans le sens inverse (d’abord Del Gue, puis de nouveau Griffe d’Ours). Del Gue aussi a évolué, sans doute influencé, à son tour, par l’esprit de Johnson. En se laissant pousser les cheveux, prêt à laisser une « trace sur cette terre », Del Gue accepte son destin irrémédiable, tandis que Griffe d’Ours, véritable point de repère immuable, réaffirme sa volonté de ne pas modifier son train de vie.

« Johnson le mangeur-de-foie » (John Johnson)

« Johnson le mangeur-de-foie » (John Johnson)

Le film s’inspire de la vie du « mountain man » « Johnson le mangeur-de-foie » (John Johnson). Son surnom, d’après la légende, lui venait du fait qu’engagé dans une vendetta personnelle contre les Indiens Crow suite au meurtre de sa femme, il aurait tué et mangé le foie de plusieurs de ses ennemis, pour les terrifier. En effet, chez les Amérindiens, manger le foie d’une victime est une façon symbolique d’achever une vengeance. Plus sûrement, capturé par des Indiens Pieds-Noirs, Johnson s’était enfui en tuant son gardien et en lui découpant une jambe, emportée comme provision pour la route… Ces événements, décrits dans le scénario élaboré par John Milius, ont été éliminés par Sydney Pollack et Robert Redford qui ont retravaillé radicalement l’histoire, la jugeant beaucoup trop violente.

Ainsi, Jeremiah Johnson, écrit à plusieurs mains, oscille entre romantisme onirique et violence brutale réaliste mais brève, loin des clichés. Pas de « bons » ni de « méchants » dans cette ballade triste (les chansons sont très présentes) qui n’idéalise personne. Ce film, un des meilleurs de Sydney Pollack, n’a guère vieilli. La bande dessinée Buddy Longway, par Derib, en est très inspirée.

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3 commentaires pour Jeremiah Johnson (« Jeremiah Johnson ») Sydney Pollack, 1972

  1. walkfredjay dit :

    J’ai toujours aimé ce film. Ma seule petite restriction en l’ayant revu récemment était l’aspect trop « joli » de Redford qui décrédibilise un peu l’ensemble. Les vrais Jeremiah Johnson devaient probablement plus ressembler à Robert Duvall, Warren Oates ou Harry Dean Stanton…

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    • evy dit :

      Je suis d’accord avec toi, Redford a un visage trop lisse, il suffit d’ailleurs de comparer avec le vrai « Johnson » dont j’ai posté la photo ! Ah, Warren Oates dans ce rôle… Il aurait été superbe.

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  2. walkfredjay dit :

    À part ça, très belle analyse, Evy ! 😉

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